Doctorat

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Apprendre de l’expérience des séminaires transculturels de Montréal pour favoriser la sécurité culturelle dans les services de santé mentale jeunesse

[NOTE. Cette version est une traduction rapide de la version anglaise. Merci d’ignorer mes formulations douteuses…] La première fois que j’ai participé à un séminaire de discussion de cas transculturel, c’était à l’automne 2013. Cécile Rousseau, l’animatrice de ce séminaire, m’avait invitée à me joindre au groupe, même si je ne faisais pas partie d’une des équipes cliniques qui pouvaient participer à ces rencontres. Si ma mémoire est bonne, c’est après lui avoir parlé de mon amour du travail de terrain qu’elle m’avait invitée à être responsable d’une étude évaluative sur ces séminaires, un projet qui impliquait de participer aux réunions pendant au moins deux ans. Je me souviens avoir pensé que cet ajout à mes tâches de coordonnatrice de recherche transformait le tout en un emploi de rêve. J’allais passer mon temps au travail à écouter des histoires. Je me souviens d’avoir partagé mon enthousiasme avec Cécile. Ce sera un plaisir de travailler ensemble, m’a-t-elle répondu. Je ne sais pas si elle avait la moindre idée que cela durerait aussi longtemps.

Je me souviens de la sensation du moment comme si c’était hier. Je vois encore la lumière entrer dans la pièce; ce n’était pas une lumière du matin. C’était plutôt une lumière qui était là depuis un certain temps, qui avait déjà des événements dans son sillage. Une lumière qui n’était pas aussi fraîche que celle d’un début de la journée. L’atmosphère de la pièce n’était pas non plus porteuse d’une énergie matinale. Au fond de la pièce, certaines personnes se préparaient un café et ce n’était pas un café du matin. C’était un café d’après-midi. Un café qui vous aide à digérer la première partie de la journée et à trouver un second souffle pour arriver à la fin de celle-ci. Au moment où j’écris ces lignes, je n’ai pas un souvenir précis de la personne ou de l’équipe qui a présenté un cas au groupe lors de cette réunion. Je n’ai pas non plus souvenir de l’histoire qui nous a été racontée et des idées d’intervention sur lesquelles nous avons travaillé en groupe. Ce dont je me souviens, en revanche, c’est du lieu dans lequel la réunion s’est déroulée. Le beige de la salle et les chaises inconfortables qui me rappelaient celles de l’école primaire. Je me souviens aussi du mur escamotable, beige lui aussi, et sale, qui ce jour-là divisait cette grande salle en deux afin qu’un autre groupe puisse se réunir dans l’espace adjacent. Vous savez, ce type de mur en accordéon que l’on étire pour créer une cloison puis que l’on range dans sa pochette murale afin de redonner à la salle sa taille d’origine. Il n’y avait pas non plus d’images sur les murs, pas de décoration, pas de couleur, sauf le rouge de l’affiche de sortie de secours. En bref, je me souviens de l’aspect peu accueillant de la pièce, avec ses petites fenêtres en haut du mur du fond, qui laissaient entrer un peu de lumière de l’extérieur.

En contraste à ce manque de vie des lieux, à cet environnement ennuyeux, l’énergie présente dans le groupe était palpable. Les gens semblaient heureux de se voir. Certains arrivaient de l’extérieur et avaient le nez rouge, la parole figée. D’autres travaillaient manifestement dans le même bâtiment, comme en témoignait l’absence de manteaux accrochés à leurs avant-bras. Le plaisir de participer à cette réunion était palpable. J’avais déjà entendu parler des séminaires transculturels. J’avais déjà compris qu’ils étaient chers aux praticiens, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’en vivre l’expérience. J’ai tendance à être mal à l’aise lorsque je me joins à un nouveau groupe, et cette fois-ci n’a pas fait exception. Lorsque j’ai jeté un coup d’œil à quelques personnes qui avaient déjà pris place aux tables disposées en rectangle pour l’occasion, j’ai réalisé que je n’étais peut-être pas la seule à ne pas être une habituée. Je pouvais voir leurs efforts  pour se donner un peu de contenance en attendant le début de la réunion. Cette femme lisant un document. Cet homme écrivant une note et essayant d’avoir l’air occupé. Étaient-ils vraiment mal à l’aise ou est-ce que je leur prêtais mes sentiments ? Peut-être qu’ils n’étaient tout simplement pas intéressés à être là ? Je me souviens aussi du moment où quelqu’un a fermé la porte et où l’attitude des gens est passée d’une nonchalance intime à un sérieux professionnel¹. Je me souviens de mon cœur qui s’est emballé en entendant Cécile proposer de faire un tour de table afin de savoir qui allait participer à la discussion ce jour-là. Je me rappelle du sentiment d’imposteur qui m’habitait, me voyant parmi des intervenants qui oeuvrent aux premières loges de la souffrance humaine et qui acceptent de se « salir les mains »² malgré l’inévitable complicité avec la violence structurelle qu’implique un travail clinique professionnel, d’autant plus quand il se fait auprès de familles minoritaires. Je me souviens avoir senti que mes mains étaient tout aussi sales, mais qu’en tant que chercheuse, leur saleté n’était pas aussi visible. Et ce dont je me rappelle tout autant, c’est le sentiment de soulagement apporté par le regard de Cécile, un regard qui légitimisait clairement ma présence dans la pièce. J’avais senti que le pari que Cécile faisait en me confiant ce que je considère aujourd’hui comme un important travail de terrain ethnographique – à notre époque de déni populiste du « racisme systémique » et de « cancel culture » qui nous rappelle les fantômes de d’autres temps -, cette confiance en moi révélée par son sourire visible par tout le groupe, m’ouvrait en fait une porte sur ce monde. Avec du recul, la chose la plus importante que je retiens de cette première rencontre est l’impression d’avoir été invitée à rejoindre un groupe de professionnels qui partageaient le souci de comprendre la complexité de l’expérience humaine. Aujourd’hui encore, je considère que cette chaleureuse introduction m’a permis de développer un lien de confiance avec les intervenants participant aux séminaires transculturels. Et c’est de fait ce lien de confiance qui s’est maintenu dans le temps qui m’a permis de réaliser l’étude dont je vais vous parler dans cette thèse.

 

¹La porte qui se referme et la cacophonie de la conversation qui s’estompe lentement semblent faire écho à la mise en scène classique du terrain anthropologique. Le bateau qui s’éloigne du rivage et laisse Malinowski sur la plage. Cela me donnait l’impression d’un moment Malinowskiesque.

²Rousseau, C., Nadeau, L., & Measham, T. (2008). Les mains sales: racisme et responsabilité morale en clinique. L’Autre9(3), 349-359.