Résumé

Résumé

Dans les services de santé mentale jeunesse, les praticiens sont de plus en plus confrontés à des situations interculturelles complexes qui nécessitent d’ajuster leurs interventions. Cela peut entraîner des sentiments d’impuissance et de frustration, provoquer des réactions défensives et affecter négativement la qualité de leur travail. Pour faire face à cette difficulté, la formation des professionnels est souvent présentée comme une solution, mais souvent sans préciser ce que ce type d’initiatives impliquent et exigent. Cette thèse rend compte des résultats d’une étude qualitative réalisée sur l’une de ces initiatives, à savoir les Séminaires de discussion de cas transculturels, interdisciplinaires et interinstitutionnels de Montréal.

L’objectif de cette étude était double : 1) d’explorer l’expérience vécue des participants aux Séminaires transculturels; et 2) d’examiner les conditions et les processus qui, au cours de ces réunions, contribuent à améliorer leur compétence interculturelle. Pendant un terrain de recherche de cinq ans (2013-2018), de l’observation-participante des Séminaires transculturels a été réalisée (61 réunions ont été enregistrées sur support audio), ainsi que six groupes de discussion et 26 entretiens individuels semi-structurés. Les données ont été analysées à l’aide d’analyses qualitatives thématiques et narratives. Les cadres théoriques ayant servi de base aux analyses comprenaient le paradigme de la sécurité culturelle, des éléments de la théorie des jeux, le paradigme des communautés de pratique et une perspective politico-psychanalytique sur les représentations et les images.

Les résultats ont montré que le terme culture dans le discours des praticiens et des familles sert de stratégie narrative pour médier les interactions cliniques. Ces pratiques rhétoriques peuvent tantôt réifier des stéréotypes et détourner d’une responsabilité personnelle, tantôt mobiliser des représentations collectives vers un objectif commun de transformation (Article 1). Les résultats indiquent également que les Séminaires transculturels fonctionnent selon des règles différentes de celles du travail clinique régulier, telles qu’une importance accordée à la diversité et à la créativité, la mise en place d’un processus de dialogue inclusif et la prise en compte de la continuité dans le temps. Ces règles permettent aux participants d’appréhender en toute sécurité une situation sous un angle différent et de négocier des relations de pouvoir (Article 2). La nécessité d’aborder des éléments contextuels locaux dans la formation interculturelle a également été documentée, notamment les identités culturelles des professionnels en formation et les inégalités de pouvoir entre les groupes au niveau local. Ces éléments sensibles peuvent être abordés au cours d’initiatives groupales de soutien et de réflexion, telles que les Séminaires transculturels, c’est-à-dire des communautés de pratique qui réunissent les praticiens de façon régulière et leur offrent un espace suffisamment sécuritaire sur le plan culturel (culturally safe enough space) (Article 3). Enfin, les résultats indiquent qu’une attention portée aux images – principalement verbales et mentales – lors des Séminaires transculturels peut permettre aux praticiens d’adopter une façon différente de regarder les familles avec lesquelles ils travaillent. Les résultats suggèrent que de travailler avec des images dans le cadre de formations interculturelles est plus productif pour une transformation du regard colonial que la seule énonciation de formulations théoriques générales qui peuvent être vécus par les participants comme une forme de jugement (Article 4).

Cette étude approfondit notre compréhension des conditions et des processus nécessaires pour accroître la compétence interculturelle des praticiens en santé mentale jeunesse, sans pour autant simplifier les connaissances anthropologiques contemporaines. Les résultats mettent également en garde contre le danger d’appliquer des outils et des protocoles sans formation adéquate. Enfin, dans le but d’améliorer la santé mentale et le bien-être des enfants et des adolescents, tout en soutenant les praticiens et en protégeant les familles minoritaires de processus systémiques discriminatoires, cette étude plaide pour l’adoption d’approches réflexives, décoloniales et enracinées localement en matière de formation interculturelle.